Les Ouïghours, une minorité persécutée

« Déportation », « massacre », « internement », ou encore « génocide », les mots utilisés pour désigner les exactions dont les Ouïghours sont victimes sont éloquents. Persécutés depuis des décennies par le pouvoir central chinois, les Ouïghours font l’objet d’une politique d’internement massif depuis 2017. Officiellement établis pour « éduquer et transformer » les personnes influencées par une « idéologie extrémiste », ces « camps de rééducation » sont en réalité des lieux de travail forcé, d’embrigadement, et de torture de cette minorité musulmane. Aujourd’hui, entre 1,5 et 3 millions de Ouïghours sont enfermés dans ces camps selon plusieurs ONG telles Amnesty International. Comment sommes-nous arrivés à une telle situation ?

Qui sont les Ouïghours ?

Comprendre les violations des droits de l’homme dont les Ouïghours sont actuellement victimes implique de se pencher sur l’histoire de cette communauté. Les Ouïghours constituent l’une des 56 ethnies de la République populaire de Chine dont l’ethnie majoritaire est celle des Hans (92% de la population). Minorité turcophone et de religion musulmane (islam sunnite), les Ouïghours vivent en Asie centrale depuis des siècles. D’abord peuple de nomades, ils se sont progressivement sédentarisés dans la région autonome chinoise du Xinjiang, à l’extrême Ouest de la Chine. C’est là que vivent aujourd’hui l’essentiel des 11,5 millions de Ouïghours dans une zone hautement stratégique pour la Chine dans le développement de son projet pharaonique de « nouvelle route de la soie » vers l’Occident.

Des tensions anciennes avec le régime chinois

Les relations entre Pékin et cette minorité ethnique sont sources de tensions depuis des décennies. Dès les années 1950, une politique d’assimilation stricte a été mise en place par le gouvernement chinois à l’égard des Ouïghours et d’autres minorités ethniques. Il s’agissait de les forcer à abandonner leur culture – en particulier leur religion – conformément au projet politique du Parti Communiste Chinois (PCC) visant à en finir avec les « Quatre Vieilleries ».

À cette période répressive succède une politique d’apaisement à l’égard des minorités ethniques dans les années 1980-1990. Toutefois, ce répit n’est que de courte durée. Les tensions sont ravivées dans les années 1990 et surtout, la « guerre contre le terrorisme » lancée après le 11 septembre 2001 par les États-Unis offre un prétexte au PCC pour renforcer la répression envers les Ouïghours au nom de la lutte contre le djihadisme et l’extrémisme religieux. Tout au long des années 2000, la répression s’accentue.

En 2009, suite à de violents affrontements inter-ethniques à Urumqui, la répression monte encore d’un cran. Le régime chinois renforce le contrôle social et politique envers la population ce qui entraine une nouvelle vague d’attaques de la part de la frange extrémiste – très minoritaire – des Ouïghours. En particulier, les attentats de Pékin en 2013 et surtout de la gare de Kunming (31 morts et 143 blessés) et d’Urumqi en 2014 (43 morts, 90 blessés) choquent profondément Pékin et entrainent une vague de répression sans précédent. Comme le déclare sur France Info Rémi Castets, directeur du Département d’études chinoises de l’université Bordeaux-Montaigne, Xi Jinping « veut dès lors régler le ‘’problème ouïghour’’ ».

Une répression extrême depuis l’arrivée au pouvoir de Xi-Jinping

La répression prend donc une tournure extrême à partir de 2014 ce qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir de Xi-Jinping l’année précédente. Les Ouïghours n’ont plus le droit de pratiquer leur religion, les prénoms islamiques sont proscrits, les femmes ont l’interdiction de porter le voile, le pèlerinage à la Mecque est interdit. Un système de surveillance massif est également mis en place afin de contrôler chaque aspect de la vie des Ouïghours. Surtout, les autorités chinoises commencent à mettre en place des expériences « pilotes » dans la région du Xinjiang visant à « déradicaliser » la population. Dès 2014, les premiers camps d’internements, appelés « camps de rééducation » ou « centres de formation professionnelle » par le régime chinois, sont mis en place.

Cette politique d’internement se généralise à partir de 2016 avec l’arrivée au pouvoir du nouveau Secrétaire du PCC au Xinjiang, Chen Quanguo. C’est alors qu’une « campagne de rééducation » sans précédent est lancée contre la population. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, des milliers de Ouïghours de tout âge sont arrêtés arbitrairement par le pouvoir et envoyés dans les camps. Ils sont soumis à un programme d’endoctrinement politique intensif et de « sinisation » visant à leur faire renier leur culture d’origine. Depuis 2017, le gouvernement chinois a également voté une loi « antiterroriste » qui lui permet d’emprisonner toute personne jugée comme « extrémiste » sans préciser la définition de ce terme. Entre 1,5 million et 3 millions de Ouïghours – ainsi que des personnes issues d’autres minorités ethniques persécutées par le pouvoir – sont actuellement détenus dans ces camps. Le pouvoir chinois mène également une politique d’endoctrinement des enfants ouïghours, les séparant de leurs parents pour les envoyer dès l’école maternelle – voire même avant – dans des internats et écoles du régime. Ils y apprennent le mandarin ainsi que « les valeurs du régime » chinois et sont sévèrement punis s’ils parlent leur langue maternelle.

Mosquée au Xinjiang

Ethnocide ou génocide ?

L’ensemble de ces persécutions soulève la question de la qualification des actes du régime chinois d’un point de vue juridique. Comme le déclare l’anthropologue et spécialiste des Ouïghours Sabine Trebinjac, la « séparation des familles a pour but d’éloigner les enfants de leur culture, et [ainsi] de renforcer l’ethnocide en cours ». En effet, l’ensemble de ces mesures semble être caractéristique d’un « ethnocide » c’est-à-dire de la destruction de l’identité sociale et culturelle d’un groupe ethnique. Toutefois, depuis 2019, de plus en plus de spécialistes parlent désormais de « génocide » pour qualifier les actions du régime chinois envers les Ouïghours. Selon un récent rapport de l’anthropologue allemand Adrian Zenz, les femmes ouïghoures seraient contraintes par le régime chinois de se faire stériliser, thèse corroborée par la chute drastique de la natalité des Ouïghours au Xinjiang depuis 2016. L’entrave aux naissances étant un critère de génocide, cela amène de plus en plus de personnes à parler de « génocide » et non plus « d’ethnocide » pour qualifier la politique du régime chinois qui vise les Ouïghours.

Quid de la communauté internationale ?

Face à ces persécutions, la communauté internationale est de plus en plus pressée à prendre des mesures fermes et contraignantes à l’encontre de la Chine. Après une longue période de silence de la part des gouvernements et responsables politiques, ces protestations semblent enfin commencer à porter leurs fruits. Le 17 décembre dernier, le Parlement Européen a notamment adopté une résolution d’urgence visant à dénoncer les violations des droits des Ouïghours, « assimilables à des crimes contre l’humanité », selon un communiqué. De même, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont récemment suspendu des importations de produits chinois soupçonnées d’utiliser le travail forcé des Ouïghours. Les États-Unis ont notamment décidé d’interdire l’entrée de tout produit contenant des fibres de coton produites dans le Xinjiang, s’alarmant d’une « forme moderne d’esclavage » visant les Ouïghours travaillant dans les champs de coton. Toutefois, pour des militants de la cause ouïghoure, ces initiatives restent largement insuffisantes et les comportements de nombreux gouvernements, qui continuent à jouer le jeu de la Chine, sont dénoncés. Les récentes mesures adoptées par différents pays permettront-t-elles de changer la donne et de déclencher un mouvement de soutien généralisé ?

Charlotte Canizo, Étudiante, Sciences-Po Paris, Après-Auschwitz, n°355-356, Juillet – Septembre / Octobre – Décembre 2020