Les Rohingyas : une minorité menacée

L’ONU considère les Rohingyas comme étant une des minorités les plus persécutées au monde. Depuis août 2017, plus de 900 000 membres de cette minorité musulmane ont été obligés de fuir au Bangladesh pour échapper aux persécutions dont ils sont victimes en Birmanie. La plupart d’entre eux vivent au sein de camps de réfugiés surpeuplés dont les conditions de vie déplorables sont souvent décriées par les ONG. Quelques mois après le début de cet exode, un accord de rapatriement a été conclu entre la Birmanie et le Bangladesh pour mettre un terme à ce flux de réfugiés incessant. Pourtant, seuls quelques centaines de réfugiés auraient fait le chemin en sens inverse à ce jour. Comment l’expliquer?

Comprendre la crise de 2017 implique de se pencher sur l’histoire des Rohingyas en Birmanie. Ce n’est en effet pas la première fois que ce peuple est visé par de telles persécutions de la part de l’État birman. Depuis l’indépendance de la Birmanie (1948), les Rohingyas subissent de nombreuses persécutions qui ont abouti à leur exclusion de la communauté nationale birmane. Les gouvernements birmans successifs ont nié l’existence des Rohingyas en tant que groupe ethnique, insistant plutôt sur l’idée qu’ils seraient des migrants du Bangladesh illégalement installés en Birmanie. Dans un pays où plus de 90% de la population est bouddhiste, ce sentiment est largement partagé par la population qui exprime une grande hostilité envers ce peuple.

Sur cette base, l’État Birman a instauré des politiques discriminatoires qui privent les Rohingyas de multiples droits fondamentaux. L’une des mesures les plus emblématiques est notamment la loi birmane sur la nationalité de 1982 qui prive les Rohingyas du droit à la nationalité. De facto apatrides, les Rohingyas ne peuvent donc se déplacer librement, s’investir dans la vie politique de leur pays, bénéficier d’une éducation de qualité ou accéder à des services de santé de base.

À ces politiques discriminatoires s’ajoutent de nombreuses persécutions. Entre 1991 et 1992, Amnesty International estime qu’environ 250 000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exécutions, actes de torture, viols ou encore détentions arbitraires dont ils étaient victimes en Birmanie. Plus récemment, en 2012, suite au meurtre et au viol collectif d’une femme bouddhiste par trois hommes musulmans, une escalade de violence a éclaté entre les Rohingyas et la majorité bouddhiste ce qui a encore renforcé les persécutions contre les   Rohingyas.

Si les exactions subies par les Rohingyas ne sont pas nouvelles, la crise de 2017 elle est inédite par son ampleur. Sa violence a interpelé l’opinion publique internationale. L’élément déclencheur de cette vague de violence est une attaque coordonnée – valant défense ? – menée par l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) contre des postes de sécurité birmans. En effet, afin de riposter contre les persécutions dont ils sont victimes, les Rohingyas ont formé des organisations armées, telles que l’ARSA, et commettent des actes « terroristes » à l’encontre des forces de sécurité birmanes. Une attaque de la même nature avait déjà eu lieu en 2016 et avait provoqué des réactions violentes de la part de l’armée birmane.

En guise de représailles à l’attaque d’août 2017, les forces de sécurité birmanes ont visé la population Rohingya par des « opérations de nettoyage » qualifiées « d’épuration ethnique » par les Nations Unies. Au lieu de chercher à appréhender les responsables de l’attaque, l’ensemble des Rohingyas, sans aucune distinction, a été ciblé par ces opérations en particulier dans l’État de Rakhine. Des actes de torture, massacres, assassinats, viols collectifs et incendies de centaines de villages ont été recensés. Ces actes constituent des crimes contre l’humanité conformément à la définition donnée dans l’article 7 du Statut de Rome. Plus encore, des organisations internationales, telles que l’ONU, ont dénoncé des actes de génocide perpétrés à l’encontre des Rohingyas.

Dans un rapport de 2019, la Mission d’établissement des faits (MEF) de l’ONU sur la Birmanie a notamment soutenu qu’il y a des « motifs raisonnables de conclure que les éléments de preuve qui permettent de déduire l’intention génocidaire de l’État[…] se sont renforcés » depuis 2018 et « qu’il existe un risque sérieux que des actes génocidaires puissent se produire ou se reproduire » contre les Rohingyas qui demeurent en Birmanie. Elle considère ainsi que « la Birmanie devrait être traduite devant la Cour Pénale Internationale pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention sur le génocide de 1948, l’un des rares instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’elle a ratifié ». Un tel contexte d’incertitude rend pour le moment impossible tout retour des réfugiés qui s’entassent par milliers dans des camps de réfugiés aux conditions sanitaires extrêmement précaires selon des associations   humanitaires telles que Médecins Sans Frontières. Le Bangladesh, dépassé par cette crise, a récemment annoncé sa volonté de transférer 100 000 Rohingyas sur l’île de Bhasan Char afin de soulager la pression démographique entrainée par l’afflux de réfugiés. Cette île est toutefois hautement submersible et aucune proposition satisfaisante n’a pour le moment été trouvée afin de permettre le transfert des Rohingyas en toute sécurité.

Temples boudhistes de Pagan, région centrale de Mandalay:  90% des Birmans sont bouddhistes

Face à l’urgence de la situation, la communauté internationale n’a eu d’autre choix que de réagir pour tenter de mettre un terme aux exactions de l’armée birmane. L’un des enquêteurs de l’ONU, Christopher Sidoti, a déclaré à ce propos en 2019 « à moins que les Nations unies et la communauté internationale ne prennent des mesures efficaces cette fois-ci, cette triste histoire est destinée à se répéter ».

« Le scandale de l’inaction internationale doit cesser », a-t-il ajouté. Des experts indépendants de l’ONU ont notamment exhorté la communauté internationale à couper tout soutien financier à l’armée birmane afin de limiter sa capacité d’action et les exactions commises à l’encontre des Rohingyas. Un appel à la création d’un tribunal pénal international pour juger les principaux auteurs présumés de ces crimes a également été lancé. Les mesures évoquées suffiront-elles à mettre un terme aux crimes contre l’humanité perpétrés à l’encontre des Rohingyas ?

Charlotte Canizo