Une plaque a été apposée le lundi 27 janvier au cimetière du Père Lachaise, en hommage aux enfants juifs français et parisiens, victimes de rafles durant la Seconde Guerre mondiale. La plaque est située à proximité des monuments liés aux principaux camps de déportation et d’extermination. Ce fut un moment d’émotion, en présence d’une assemblée très nombreuse, de rescapés, d’élus, notamment Anne Hidalgo et Frédérique Calandra, du Recteur de l’Académie de Paris, François Weil, ainsi que d’élèves du collège Jean-Baptiste Clément. Après que le responsable de l’AMEDJ et Francine Christophe, déportée enfant à Bergen Belsen, se soient exprimés, le président de l’UDA, Raphaël Esrail a prononcé un discours, avant que Frédérique Calandra et Anne Hidalgo ne prennent la parole.
Discours prononcé par Raphaël Esrail
« Madame la Maire Adjointe de Paris, Madame la Maire du 20ème arrondissement, Mesdames et Messieurs les Elus, Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs les Présidents de Fondations, Fédérations et Associations, Cher-e-s Camarades et Ami-e-s, Mesdames, Messieurs».
Aujourd’hui, nous sommes ensemble pour nous recueillir et rendre hommage aux 11 400 enfants déportés de France, assassinés à Auschwitz-Birkenau, victimes de la violence inouïe du régime nazi. Ces enfants ont été arrêtés puis déportés dès l’été 1942 et jusqu’au dernier convoi, le n° 77, en juillet 1944, dans lequel furent embarqués les enfants des foyers de l’UGIF. Comment peut-on « arrêter des enfants » ? Comment peut-on « déporter » des enfants ? Comment peut-on « mettre à mort » des enfants ? Quel type de société, d’administration, quel genre d’hommes peuvent ainsi être capables de mettre en œuvre une politique de cette nature ? Ce sont ces questions qui nous taraudent encore aujourd’hui.
En juillet 1942, au cours de la seule rafle du Vel d’Hiv, 4 115 enfants ont été arrêtés. Les autorités de Vichy, après avoir traqué les Juifs dans des quartiers proches du lieu où nous nous trouvons, après les avoir enfermés au Vel d’Hiv, les avoir internés dans les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers, ont pris la décision de séparer les mères et les enfants. Comment se faire une idée de l’épouvantable souffrance éprouvée par ces mères, à qui les enfants avaient été arrachés ?
Est-il possible d’imaginer le désarroi de ces enfants, livrés alors à eux-mêmes, totalement désemparés, n’ayant aucun moyen de comprendre la situation dans laquelle ils se trouvaient ? De tout cela, les autorités françaises n’en avaient cure. Trois semaines plus tard, les enfants étaient déportés. Du 21 au 28 août 1942, en quatre convois, plus de 1 700 enfants ont été envoyés de France vers le centre d’extermination de Birkenau.
A mes yeux, cet épisode, orchestré par les autorités françaises, a fourni sa matière pour écrire l’une des pages les plus infâmantes de l’histoire. C’était l’été en France… et l’été à Birkenau. Permettez-moi de vous faire revenir, sans transition, ici et maintenant, en évoquant la plaque posée tout près, dans le square Edouard-Vaillant, celle dédiée aux 133 tout-petits de moins de 5 ans du 20ème arrondissement. Tout près d’ici, ce sont également des tout-petits que chaque jour, à la sortie des écoles maternelles, des parents viennent chercher. Lequel d’entre eux pourrait imaginer que son enfant ait à connaître le sort qui fut celui des enfants juifs ?
À Paris, depuis quelques années, des plaques de marbre noir ont été apposées sur les établissements scolaires. Elles sont là comme autant de sombres jalons qui marquent le cours d’une histoire que nous devons avoir le courage de garder présente à nos esprits et pour nous rappeler les arrestations et les assassinats des enfants.
Je voudrais ici rendre hommage au travail réalisé par la Mairie de Paris qui accueillait il y a peu de temps une exposition consacrée aux enfants, et saluer également l’engagement remarquable des AMEJD, Associations pour la mémoire des enfants juifs déportés.
« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » et la période que nous vivons actuellement, nous oblige à reconnaître que, malheureusement, cette allégorie est toujours d’actualité. A l’Union des Déportés, tout en étant très actifs dans le travail de mémoire, nous nous situons volontairement en marge du tumulte du monde. Vient toutefois un moment, où nous nous devons d’être présents.
Dernièrement, face aux résurgences de l’antisémitisme, les autorités de ce pays ont réagi. Je voudrais préciser que cette réaction est celle d’un pouvoir souverain qui a le devoir de maintenir la cohésion entre les citoyens, qui a le devoir d’empêcher que des boucs émissaires soient à nouveau désignés à la vindicte populaire.
Ces 11 400 enfants sont des victimes d’une haine et d’une bêtise intégrales. En ce qui concerne les anciens déportés, c’est bien souvent dans les images lancinantes qui nous reviennent de cette innocence bafouée, piétinée, massacrée que s’est ressourcé au quotidien notre engagement, nous qui avons côtoyé ces enfants dans les wagons des convois et qui les avons vus, pour la dernière fois, s’éloigner sur les rampes d’Auschwitz-Birkenau.
C’est aussi au nom de ces enfants que depuis 70 ans, les survivants se sont engagés dans un combat sans relâche, pour que l’humanité reste vigilante et ne détourne pas les yeux des gouffres insondables dans lesquels elle a pu s’abîmer.
Telle est la vocation du dialogue que nous avons tissé avec les enfants et les adolescents dans les établissements scolaires et dont nous avons à nous réjouir tant cette jeunesse est au rendez-vous. C’est sur cette jeunesse, instruite des crimes du passé, que se fonde notre espoir que jamais ne reviennent de telles catastrophes. Je vous remercie ».
Raphaël Esrail, Président de l’Union des Déportés d’Auschwitz
Après Auschwitz n. 329, avril 2014